Crime

Haiti: Les méandres de l’affaire Jean Dominique, 15 ans après le meurtre du journaliste

PORT-AU-PRINCE – Voilà bien 15 ans que des assassins ôtèrent la vie au célèbre journaliste haïtien Jean Dominique, directeur de la station privée Radio Haïti Inter : 7 balles dans des points vitaux qui ne lui laissèrent aucune chance.

C’était tôt dans la matinée du 3 avril 2000. Le gardien de la station, Jean Claude Louissaint, fut, lui aussi, abattu au même moment.

Depuis, de soubresauts en soubresauts, une enquête judiciaire se poursuit sans aboutir à un procès en bonne et due forme pour pouvoir punir les auteurs matériels et intellectuels de ces meurtres.

Après les deux victimes, plus d’une dizaine d’autres personnes ayant une implication présumée dans le dossier ont été assassinées, souligne un militant de droits humain qui avance la thèse d’un « crime d’État ».

Pas moins de 8 juges

Pas moins de 8 juges ont eu à traiter le dossier. L’actuel juge en charge de l’affaire est Yvickel Dabrésil, de la Cour d’appel de Port-au-Prince. Le dossier lui a été remis le 3 avril 2005, après que la Cour d’appel eut jugé, en août 2003, qu’il fallait identifier tous les assassins directs ainsi que les auteurs intellectuels du double meurtre.

Cette décision a été prise suite au recours en appel de la famille du journaliste assassiné contre l’ordonnance du juge d’instruction Bernard St-Vil en avril 2003.

Le 17 janvier 2014, le juge Dabrésil a émis son rapport désignant l’ancienne sénatrice du parti Fanmi Lavalas, Mirlande Libérus Pavert, comme « auteure intellectuelle » du double assassinat.

Le document mentionne aussi huit autres personnes, dont des militants lavalas, comme l’ancien maire adjoint de Port-au-Prince, Gabriel Harold Sévère, Annette Auguste (Sô Àn), Frantz Camille, Jeudy Jean Daniel, Markenton Michel, Toussaint Mercidieu, Mérité et Dimsley Milien.

Apparente accélération

En ce qui concerne Mirlande Libérus Pavert, qui vit aux États-Unis, elle fait l’objet d’un mandat d’amener, émis par la justice haïtienne, dans le cadre d’une autre affaire. La justice réclame son extradition pour son implication présumée dans des faits de blanchiment des avoirs, trafic illicite de drogue et association de malfaiteurs.

On a observé une apparente accélération suite à une interview posthume diffusée le mardi 10 mars 2015, dans laquelle Oriel Jean, ancien chef de la sécurité de Jean Bertrand Aristide, a fait de graves déclarations contre l’ex-président haïtien et ses proches partisans en rapport à la mort du journaliste Jean Dominique.

Oriel Jean avait fait ces révélations au journaliste Guyler C. Delva, environ un an avant son assassinat par balles dans l’après-midi du 2 mars à Delmas (périphérie nord).

Lors de cette interview, Oriel Jean a cité le nom de Mirlande Libérus Pavert, qui aurait été chargée par l’ex-président Aristide de faire taire le journaliste Jean Dominique, considéré à l’époque comme un obstacle au retour l’ancien chef d’État au pouvoir. Des déclarations contestées par Aristide dans une déposition en mai 2014.

Tout en souhaitant que la politique n’interfère pas dans le dossier, les secteurs de droits humains se montrent favorables à l’extradition de Mirlande Libérus Pavert, qui pourra ainsi répondre des reproches qui lui sont adressés, notamment en ce qui concerne l’assassinat de Jean Dominique.

Un cas test

Le cas Jean Dominique, figure emblématique du journalisme et du combat démocratique en Haïti, est devenu au fil des années un cas symbolique, un test que la justice haïtienne ne parvient à passer.

Le message transmis à la société est lugubre : si Jean Dominique n’arrive pas à trouver justice, à qui d’autre elle sera rendue dans ce pays, s’est souvent exclamée sa veuve, la journaliste Michèle Montas.

De nombreux actes d’intimidations, y compris des tentatives d’assassinat de Michèle Montas, ont porté Radio Haïti Inter à cesser d’émettre le 21 février 2003, dans un contexte des plus difficiles qui devait culminer avec la chute d’Aristide (second mandat).

L’attentat contre Jean Dominique n’était-il pas « la partie visible d’un vaste complot pour faire échec à la lutte que mène Radio Haïti depuis 68 ans », s’était alors interrogée Michèle Montas, dans son éditorial.

Radio Haïti, créée dans les années 30, a été en première ligne de la lutte contre la dictature des Duvalier, de 1957 a 1986, et a été fermée par le régime en 1980. La plupart des journalistes ont été emprisonnés et contraints à l’exil, dont Jean Dominique.

Après la reprise de ses émissions au lendemain de la chute des Duvalier, Radio Haïti a été obligée en octobre 1991 de cesser a nouveau ses émissions, suite au coup d’Etat militaire contre l’ancien président Aristide.

Le 3 avril de l’année dernière, la Bibliothèque Rubenstein de l’Université Duke en Caroline du Nord, en partenariat avec la famille du journaliste martyr, lancait un projet d’archives vivantes de Radio Haiti Inter.

Ces archives sont constituées de prés de 2,500 reportages, enquêtes, interviews, émissions culturelles, et 28 boîtes de documents écrits, sauvés de l’immeuble endommagé de Radio Haïti après le tremblement de terre (du 12 janvier 2010). Couvrant la période des années 1970 à 2003, ces documents ont été sauvegardés, numérisés et sont accessibles sur le web.

Source/Alter Press

Photo/Archives

www.anmwe.com

Haitian journalists demonstrate in Port-

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