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Monde: Fabienne Colas surnommée « la reine des festivals »

MONTRÉAL, Canada – Fabienne Colas est une grande vedette du cinéma en Haïti, Miss West Indies, Miss Haïti 2000, quand elle décide, à 24 ans, en 2003, de partir faire carrière à Hollywood.

Mais son chemin vers la Californie passe alors par le Québec, Chicoutimi plus particulièrement, où une amie épistolaire l’attend et lui suggère de voir ici si sa carrière peut avancer. Elle s’y pose, part vers Montréal. Mais là, c’est plus difficile qu’escompté. Elle cherche des rôles, du travail, des plateformes où faire connaître la culture haïtienne dont elle est issue et où elle régnait. Comme elle ne trouve à peu près rien de tout cela – « On me disait : “Tu es Noire”, “Tu as un accent”, j’ai eu beaucoup de difficulté à trouver un agent, je ne trouvais pas de travail, que de très petits rôles » –, elle décide de l’inventer. C’est ainsi qu’elle crée le Festival du film black, pour mettre en vedette la culture noire, haïtienne en particulier, puis ses événements font des petits à New York, Toronto et Halifax. Et Port-au-Prince. Et c’est ainsi qu’elle n’est jamais repartie de la métropole québécoise.

En 2018, la société Caldwell Partners, qui publie chaque année un palmarès de jeunes talents canadiens particulièrement prometteurs âgés de moins de 40 ans, a choisi une seule Noire. Et une seule Québécoise. C’était Fabienne Colas.

Ici, maintenant, on la surnomme « la reine des festivals », puisqu’elle en a fondé sept, soit les Festivals du film black de Montréal, de Toronto et d’Halifax, où on a vu des artistes comme Spike Lee, le petit-fils de Martin Luther King, Danny Glover, Isaiah Washington et autres vedettes, les événements pluridisciplinaires Haïti en folie à Montréal et New York, sans oublier le Festival du film québécois en Haïti et Fondu au Noir, pour célébrer le Mois de l’histoire des Noirs.

LA VOICI, EN SES MOTS

Que feriez-vous en premier si vous étiez ministre de la Culture ?

Le monde bouge. La société québécoise a évolué et a changé depuis les 20 dernières années. Le programme des festivals de la SODEC n’a pas été mis à jour depuis près de 20 ans. Ce programme exclut des festivals extrêmement importants qui n’existaient pas lors de sa création. 1) Je m’assurerais donc que les programmes de financement de la SODEC, du Conseil des arts et des lettres du Québec et de mon ministère soient à jour et au pas avec les nouvelles tendances ; qu’ils soient équitables et reflètent la réalité démographique actuelle de notre milieu. 2) J’instaurerais des normes d’équité : à qualités, potentiels, retombées et impacts égaux, financements égaux ! 3) Les membres de jurys analysant les projets artistiques refléteraient notre diversité. 4) J’instaurerais un bureau du « potentiel », pour repérer les futurs génies des arts et des événements, et investirais dans le potentiel futur de certains festivals et artistes. Il faut savoir être visionnaires et anticiper les tendances ; donc investir dans la diversité et les événements de niche qui diversifient l’offre culturelle sur le territoire et qui positionnent le Québec dans certains créneaux insoupçonnés sur le plan national et international !

Qui est votre artiste préféré de tous les temps (ou plusieurs) ?

Manno Charlemagne, le Félix Leclerc/Gilles Vigneault d’Haïti. Il a été la conscience de tout un peuple et a dénoncé, au péril de sa vie, les injustices du pouvoir. Il fut emprisonné, torturé, exilé et, par la suite, il est devenu maire de Port-au-Prince.

Harry Belafonte était au sommet de sa gloire comme acteur et chanteur, avec son propre TV Show, quand Martin Luther King Jr. a fait appel à lui. Il a réuni ses amis Marlon Brando, Charlton Heston, Sidney Poitier et autres pour soutenir ouvertement le Dr King. Et du coup, le mouvement des droits civiques a pu avoir une grande visibilité dans les médias qui, jusque-là, ne couvraient pas trop ses manifestations. Il faut utiliser ses influences et contacts pour les causes qui en valent la peine. Et dire que j’ai eu la chance d’accueillir Charlemagne et Belafonte à nos festivals ! Un honneur.

Maya Angelou a eu un passé de proxénète et de travailleuse du sexe. Elle l’a admis dans son livre Gather Together in My Name. Et elle a pu transformer sa vie pour devenir un des auteurs et poètes les plus respectables de ce monde. La preuve que nous ne sommes pas nos pires erreurs du passé.

Y a-t-il une personne qui vous inspire au quotidien ?

Oprah Winfrey ! Elle a prouvé que quels que soient votre histoire, votre passé et vos circonstances, vous pouvez réécrire la suite de votre vie et atteindre les plus hauts sommets. Le tout en misant sur l’éducation, l’intégrité, le travail acharné et une détermination qui frise l’obsession. Elle m’a permis de rêver et d’aspirer à un plus grand rêve pour moi et ma communauté.

Quelle est la plus belle ville du monde ?

Paris est dur à battre en termes de beauté de ses musées et de son architecture… Mais Montréal demeure pour moi imbattable pour sa joie de vivre, la diversité de la population, son ouverture à la différence, sa chaleur humaine et cette façon de se respecter même en ayant des idées et convictions différentes. Quelle belle ville cosmopolite, multiculturelle, multilingue, multicolore… Définitivement le carrefour francophone d’Amérique où Molière rencontre Shakespeare ! Montréal est à jamais ma deuxième île préférée, après Haïti !

Un peintre préféré ? Une chanteuse ? Une actrice ?

Deux actrices qui m’inspirent : Meryl Streep et Alfre Woodard.

Un romancier : Dany Laferrière.

Je n’ai pas un peintre préféré, mais je suis inspirée par la peinture haïtienne, dont Jonathan Demme a été un grand collectionneur d’ailleurs (et Steven Spielberg aussi, selon plusieurs).

Qu’aimez-vous le plus du Québec ?

À part mon charmant mari ? Lol. Sûrement pas l’hiver, pour une fille des Caraïbes comme moi. J’aime bien cette sérénité qui a toujours régné dans la province. J’adore tous ces programmes pour soutenir les jeunes entrepreneurs qui ont des idées plein la tête et qui sont prêts à conquérir le monde. Une province qui a décidé de miser sur sa jeunesse ; on a donc un avenir très prometteur.

Votre chanson québécoise préférée ?

J’en ai plusieurs :

Doudou de Wesli, et My Rhythm de Vox Sambou – la musique du monde montréalaise à son meilleur.

Amalgame des Respectables et Sans regret de Brigitte Boisjoli – je peux les écouter en boucle.

Le blues du businessman de Plamondon et L’essentiel de Ginette Reno – des classiques que j’ai découverts en Haïti.

Y’a pas grand-chose dans l’ciel à soir de Paul Piché et En attendant ses pas de Céline Dion – deux chansons que j’ai découvertes à mon arrivée au Québec, à Chicoutimi.

Votre plat préféré ?

Le tassot de viande de chèvre haïtien (viande de chèvre frite) accompagné de riz collé (riz aux haricots) et de banane plantain (qu’on peut trouver dans tous les restos ou casse-croûtes haïtiens du Québec). Je serais capable de le manger tous les jours de la semaine et deux fois par jour en week-end sans me fatiguer ! Je vous recommande d’y goûter au moins une fois dans votre vie.

Un sport préféré ? Et pourquoi faites-vous du sport ?

La danse reste mon sport préféré, car ça me permet de bouger tout en m’amusant vraiment. J’aime les danses latines (salsa, cha-cha-cha, merengue…) qui me reconnectent avec ma culture caribéenne/latine.

Jouez-vous à des jeux parfois ? Lesquels ?

Dès l’âge de 11 ans, en Haïti, je jouais aux échecs avec les amis de mon père et j’aimais lire les exploits de Garry Kasparov (le plus grand joueur d’échecs de tous les temps). Cela m’a permis d’avoir un esprit critique, d’anticiper les coups de l’adversaire et de réfléchir avant de prendre une décision, car chaque décision a une conséquence directe sur l’issue de la partie. J’aime aussi jouer au Ludo, un jeu de société assez répandu en Haïti et dans les communautés haïtiennes… simple et passionnant ! On y joue aussi au festival Haïti en folie à Montréal, chaque été au parc La Fontaine, pour permettre au public de s’y exposer.

Quelle est la plus belle invention récente ?

Après l’internet et les téléphones intelligents, je dirais les médias sociaux ! Une excellente façon d’être connecté avec le reste du monde, en plus de donner la parole à tous, en temps réel. Cela a aussi donné une voix à des mouvements sociaux planétaires qui ont inspiré des actions et changements réels : #oscarssowhite a fait changer les règles de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences pour l’inclusion de plus de Noirs et de gens de couleur dans les sélections aux Oscars ; #metoo a donné une voix à des victimes d’agressions sexuelles et a provoqué une vraie révolution sociale ; #petrocaribechallenge a rassemblé la société civile en Haïti pour dénoncer la corruption gouvernementale… N’importe quel simple citoyen peut participer à une conversation ou lancer une campagne de sensibilisation rien qu’avec un mot-clic !

Quels sont les plus beaux atouts de notre jeunesse ?

Son audace, sa candeur, sa curiosité, son ouverture à la diversité, son goût du risque, son bilinguisme (français/anglais) et les nouvelles technologies à sa disposition pour aller à la conquête du monde, depuis son sous-sol et munie souvent que d’un téléphone cellulaire !

Trouvez-vous que vous en faites assez pour la société ? Qui a besoin d’encore plus d’aide ?

L’inclusion des gens provenant des minorités visibles dans les arts, devant et derrière la caméra, est un choix et une décision. C’est la responsabilité de tous, et chaque jour, chacun fait face à des décisions d’exclure ou d’inclure. Mon équipe, mes partenaires et moi faisons ce que nous pouvons. Plusieurs autres organismes font leur part. Mais imaginez où nous serions si tous mettaient la main à la pâte ! Chacun doit faire sa part et ensemble on y arrivera. On a besoin d’un plan d’inclusion massive, car sinon, on continuera à créer deux catégories de Québécois. Sur le plan culturel, les artistes des minorités visibles et les festivals qui font la promotion de la diversité sont systématiquement moins financés – ce qui pousse plusieurs à parler de racisme systémique. Il faut arrêter ça ! On peut devenir au Québec un exemple d’équité à cet égard au municipal et au provincial.

Source/Journal de Montréal
Photo/Archives
www.anmwe.com

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