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Monde: Dany Laferrière écrit au Directeur de la Bibliothèque municipale de Petit-Goave

PARIS, France – Je suis parti un peu vite juste après le passage de la terrible Irma. J’étais attendu à Liege pour lancer le festival de Théâtre de Liege. C’était un événement coloré et vivant. Il faisait un peu frisquet le soir mais ce n’était rien pour un habitué du grand froid montréalais que je suis devenu au fil des années. C’est l’un des avantages du voyage au long cours, cela nous permet de connaître des situations inédites. Entre ma nuit angoissante avec Irma et ce départ chaotique je n’ai pas pu te saluer, ni eu le temps de discuter avec toi de tout ce charivari autour de la bibliothèque, de ta bibliothèque.

Durant cette journée mémorable que j’ai passé avec toi, ce dimanche si lumineux coupe par une averse tropicale qui m’a ravi, j’ai pu prendre la mesure de ta détermination. Si cette bibliothèque existe c’est grâce à toi, et aussi à ce jeune ingénieur qui en a conçu les plans et nous a gâtés avec cette belle lumière qui traverse ses salles, et aussi ce jeune homme qui travaille pour AAA et surtout Emmelie Prophète qui continue à défendre la bibliothèque avec son acharnement coutumier. Quel beau projet c’était! Quel beau projet c’est toujours. Mais ce n’est pas un projet mais une œuvre qu’il faut sauver. C’est la que je voulais en venir.

Il faut sauver la bibliothèque à tout prix. C’est la prunelle des yeux du petit lecteur qui attend avec impatience de pouvoir y entrer. Fais en sorte qu’il puisse le faire le plus vite possible et dans les meilleures conditions morales. Je trouve que Bibliothèque municipale de Petit-Goave est un beau nom. Le mot Petit-Goave est si doux, si lumineux et représente tant de gens affamés de culture. On aura toujours à faire un choix entre ce qui est important et ce qui est plus important. Certaines personnes espèrent que cette bibliothèque soit détruite, il faut tout faire pour ne pas leur donner cette chance. Quitte à diminuer notre rêve de vingt pour cent. Ce qui m’avait fait accepter la proposition que mon nom soit associé à la bibliothèque c’était parce que cela me permettrait de l’aider plus facilement. Avec mon nom dessus cela aurait été plus facile pour moi de négocier des dons de livres d’institutions internationales dont certaines restent réticent à aider un organisme sans visage.

Je voulais être ce visage connu qui permettrait d’identifier de loin la bibliothèque. Bien sûr que ce fut aussi un grand honneur pour moi. L’enfant de Petit-Goave, cette ville ou j’ai appris les rudiments de la lecture et de l’écriture. Cette ville que j’ai décrit dans un grand nombre de mes livres. Cette ville que j’évoque partout où je passe depuis plus de trente ans. Cela personne, je crois, ne l’ignore. D’ailleurs je continuerai à travailler avec toi, même sans mon nom. Ma femme écumé les librairies bon marché de Montréal pour acheter des albums pour les enfants, ce secteur jeunesse qui lui tient tant à cœur. Je voudrais donner les livres que j’ai ramassés à Paris et qui constituent un bon petit lot. Il faut faire vivre cette magnifique bibliothèque. Une bibliothèque c’est le cœur vibrant d’une ville, elle peut faire barrage à l’arbitraire en réduisant le nombre de barbares. Ton courage, ta détermination et ton calme m’impressionnent. Garde cette flamme que j’ai vu dans tes yeux et cet enthousiasme qui irrigue des actions. Il y a d’autres difficultés sur ta route, mais tu les franchiras aisément si tu ne te lances pas aveuglément dans la mêlée.

Un seul conseil: quand les esprits s’échauffent, prends du recul, laisse-les faire un moment ils finissent souvent par exprimer leurs véritables motivations, ce qui mène souvent à leur perte. Et fais confiance aussi à ceux qui n’ont pas de voix, qui ne peuvent pas entrer de plein fouet dans la bataille mais dont l’apport sera précieux plus tard au moment de construire. Les gens de bien, mises sur eux. Ils sont dans l’ombre mais toujours présents. Pas de déclaration qui pourrait les attrister. C’est souvent mieux de ne pas faire de déclaration du tout. Continue à travailler comme si de rien n’était. Ne laisse pas les destructeurs t’imposer leur rythme et leur agenda. En fait j’ai bien vu que goût cela est déjà en toi. Aime ta bibliothèque, elle est magnifique. Et fais en sorte qu’elle devienne la bibliothèque de tous les lecteurs. Et fais-toi un réseau de personnes fiables et dévouées à la cause du livre.

Je ne veux pas trop te bombarder de conseils, simplement te dire que je suis si heureux de cette belle bibliothèque, celle que j’ai toujours rêvée pour ma ville.

Tu te souviens lors de ma visite, je t’avais dit que c’était pour moi la véritable inauguration de la bibliothèque.
Elle appartiendra à tous ceux qui y entrent.

Toute mon affection

Dany Laferrière
(excuse-moi de ne pas me relire pour la correction, je ne m’en sens pas le courage).

Anmwe
Photo/Archives
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Dany-Laferrière

 

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