PORT-AU-PRINCE – En tant qu’instigateur de la résolution déférant le dossier petrocaribe à la CSCCA je crois qu’il est important pour moi d’expliquer à la nation pourquoi je n’ai pas voté le rapport de la Commission Éthique et Anti-corruption sanctionnant celui de la CSCCA et qui fait un ensemble de recommandations sur la manière de traiter le dossier petrocaribe.
Dans mon intervention en pleine séance j’ai eu la perspicacité de demander au président Cantave sur quoi demande t-il à l’assemblée de voter? Sur le rapport de la Cour des Comptes tel qu’il a été déposé au bureau ou sur celui du sénateur Latortue faisant un ensemble de recommendations visant à compléter celui de la Cour des Comptes?
Le bureau n’a pas tenu compte de cette nuance d’importance fondamentale qui peut échapper à l’attention de la population et même des esprits les plus avisés. Alors, j’ai fait abstention pour exprimer mes désaccords avec les recommandations de la Commission éthique et anti-corruption et la manière dont l’assemblée a transmis le rapport à la justice. En termes plus nets, mon abstention est motivée par les raisons suivantes:
1) À mon avis, la Commission Éthique et Anti-corruption aurait dû se contenter de présenter le rapport à l’assemblée des sénateurs et lui recommander de voter pour ou contre celui-là avant d’être transmis aux autorités compétentes.
2) Le rapport de la Cour des comptes n’est que partiel, comment instruire sur un rapport qui est incomplet, alors que le juge d’instruction à des délais à respecter dans le cadre de son enquête? Or, il est clair que l’instruction d’un dossier aussi étoffé et aussi compliqué ne peut se faire selon les délais légaux en vigueur et selon les règles de procédure pénale traditionelles.
3) Au nom du principe de la séparation des pouvoirs, le pouvoir législatif ne peut pas faire des recommandations au pouvoir judiciaire sur la manière de traiter un dossier en cours d’examen, à moins qu’ elles dérivent d’une décision de l’assemblée des sénateurs suite à un rapport d’audit de la CSCCA sur la gestion financière d’un ministre ou d’un premier ministre.
4) La Justice est déjà saisie de ce dossier au moins deux fois: une fois par André Michel, par plainte avec constitution de partie civile et une autre fois par l’État haïtien, via la DGI, à l’initiative du Premier Ministre Céant. Ce dernier, après avoir reçu le dossier des mains du président Cantave, l’a transmis au Ministre de la justice qui, à son tour, l’a transmis au chef du Parquet. C’est donc une troisième fois qu’une autorité judiciaire est saisie de ce même dossier. C’est tout simplement de la pagaille, de la cacophonie judiciaire.
J’ai la conviction que le peuple haîtien ne peut retrouver l’argent du fonds petrocaribe que par un audit et une évaluation objective de toutes les firmes qui exécutaient les projets financés à l’aide de ce fonds. Si ceci n’est pas fait, on risque, par maladresse, d’hypothéquer inutilement l’enquête.
Voici une idée de ce que le Sénat aurait dû faire avec le rapport de la CSCCA, s’il s’avisait de faire des recommandations qui visent à faciliter l’enquête et le procès petro caribe. Au nom du parallélisme des formes et des procédures, les recommandations auraient dû être formulées dans une résolution, comme ce fut le cas quand l’assemblée devait déférer le dossier par devant la Cour des comptes. Elles auraient dû avoir pour finalité de discipliner ou de structurer le procès petrocaribe. Voici quelques exemples:
1) Demander aux trois pouvoirs de l’État ainsi qu’à la Cour des Comptes de trouver un consensus pour uniformiser le dossier petrocaribe, le traiter avec objectivité et célérité, enquêter à la fois sur les comptables et ordonnateurs de fonds petro caribe, sur toutes les firmes d’exécution de projets petrocaribe, toutes les autorités placées pour garantir le respect de la loi sur la passation de marché et les règles de la comptabilité publique et de l’exécution du budget. Je parle ici des comptables publics et des firmes de supervision.
2) Demander à la CSCCA de compléter son travail, en faisant parvenir au Parlement son rapport d’audit sur tous les comptables et ordonnateurs de fonds petrocaribe pour permettre à la commission des comptes généraux et de décharge de décider sur leur gestion financière, conformément à l’article 233 de la Constitution.
3) Demander à la CSCCA d’émettre un arrêt de débet contre les Directeurs Généraux dont la gestion ne se révèle pas saine, ce pour régulariser la saisine des tribunaux ordinaires et empêcher qu’ils soient saisis deux fois sur le même dossier, avec tout ce que cela comporte de conséquences sur le respect des règles élémentaires de justice et les garanties judiciaires.
Enfin, je voudrais rappeler que, dès qu’un dossier est pris en charge par des professionnels du Droit, aucun juge ne peut en faire ce qu’il veut, aucun commissaire du gouvernement, aucun parlementaire, aucun membre du pouvoir exécutif ne peut l’orienter. Il y aura des avocats dans les deux camps pour assurer librement la défense des parties en cause. En tant qu’avocat et représentant de la nation, il est de mon devoir d’identifier avec courage et esprit d’abnégation les erreurs de procédure qui peuvent hypothéquer l’aboutissement du dossier petrocaribe.
Aujourd’hui, j’éprouve un sentiment de satisfaction d’observer combien la société haïtienne, dans son ensemble, a acceuilli le rapport de la Cour Supérieure des Comptes. Pourtant la résolution déférant le dossier à la Cour des comptes était controversée. Demain, je suis certain que la société haïtienne me donnera encore raison quand les irrégularités que je viens d’évoquer commencent à affecter l’enquête et le procès petrocaribe.
Sénateur Kedlaire Augustin.
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