BARBADE – Une semaine après avoir minimisé la crise migratoire entre Haïti et la République dominicaine, le président Michel Martelly change de ton. Ce vendredi, au 36e sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la CARICOM à la Barbade, il dénonce le rapatriement dans des conditions inhumaines de milliers de compatriotes depuis le 17 juin 2015, date de l’échéance du Plan national de régularisation des étrangers (PNRE).
Martelly appelle à l’intervention de la communauté internationale en vue de forcer la République dominicaine à revenir sur la table des négociations en vue de trouver une issue à la crise. Nous publions in extenso le discours du président Michel Martelly.
Mesdames,
Messieurs,
Je voudrais, tout d’abord, remercier l’Honorable Perry CHRISTIE, Premier Ministre des Bahamas et Président sortant de la CARICOM pour l’excellent travail qu’il a effectué au cours de son mandat. J’en profite pour saluer l’arrivée de l’Honorable Freundel STUART, Premier Ministre de la Barbade, à la présidence de la Communauté. Sachez, Monsieur le Président, que je suis à votre disposition.
Qu’il me soit permis de vous dire que ce n’est pas de gaieté de cœur que je m’adresse à cette assemblée pour parler des relations de la République d’Haïti avec la République dominicaine. Aujourd’hui, ces relations nous interpellent et interpellent les amis de la CARICOM, compte tenu du sort qui est réservé aux haïtiens vivant en situation irrégulière en République dominicaine.
Depuis le mercredi 17 juin 2015, date de l’échéance du Plan national de régularisation des Etrangers (PNRE), mettant en application l’Arrêt 168-13 du Tribunal constitutionnel dominicain, des milliers d’haïtiens ont rejoint les postes frontaliers haïtiano-dominicains. Si certains ont décidé de retourner volontairement en Haïti, d’autres, plus nombreux que les premiers ont, en revanche, été arrêtés et conduits manu militari aux frontières.
Les autorités dominicaines préfèrent parler de rapatriement volontaire assisté, alors qu’il s’agit de déportations souvent violentes. La République d’Haïti, dans le cadre de toutes les rencontres bilatérales sur les questions migratoires, n’a jamais discuté le droit souverain de la République dominicaine de légiférer sur sa politique migratoire nationale et de prendre toutes les dispositions subséquentes concernant les étrangers, notamment les haïtiens.
La position du gouvernement, conformément au respect des normes de Droit international public régissant la matière, est et a toujours été d’accueillir en Haïti toute personne jouissant de la nationalité haïtienne, mais vivant en situation irrégulière, que ce soit en République dominicaine ou dans n’importe quel autre pays. C’est, respectueuse de ce principe et en harmonie avec les normes internationales que la partie haïtienne, à toutes les réunions bilatérales, a invité la partie dominicaine à considérer la nécessité et l’urgence de négocier un protocole d’accord sur le processus ou les mécanismes de rapatriement dans le seul et unique but de respecter les droits des migrants.
Les autorités dominicaines, en utilisant tous les subterfuges possibles, ont systématiquement refusé de négocier, non seulement ledit protocole, mais encore tout autre qu’elle pourrait courtoisement présenter. En conséquence, la partie haïtienne est en droit de considérer que le gouvernement dominicain veut effectuer les déportations sans tenir compte des droits élémentaires des migrants haïtiens.
Mesdames, Messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement, Monsieur le secrétaire général de la CARICOM, Face à cette situation intolérable, la République d’Haïti lance un vibrant appel aux Etats membres de la CARICOM, de l’Organisation des Etats Américains et de l’Organisation des Nations unies afin de porter les autorités dominicaines à traiter les ressortissants haïtiens avec dignité en respectant leurs droits conformément à tous les protocoles et toutes les conventions internationales et régionales existant en matière migratoire.
La communauté internationale ne peut pas se taire quand des familles nucléaires se divisent arbitrairement et que des enfants sont séparés de leurs parents et conduits à des postes frontaliers. La communauté internationale ne peut garder le silence lorsque des personnes dont la force de travail a été exploitée pendant plusieurs décennies et qu’un beau jour on leur demande de débarrasser le plancher sans avoir la possibilité de toucher une pension, voir le droit à récupérer leur maigre patrimoine.
La République d’Haïti demande à la communauté internationale de soutenir la position du gouvernement dans sa tentative de souscrire un accord avec la République dominicaine qui respecte les droits humains des ressortissants haïtiens. La République d’Haïti ne dispose pas de Forces armées. Aussi fait-elle de la diplomatie sa première ligne de défense. Si dans un premier temps, elle avait privilégié l’approche bilatérale, c’est parce qu’elle avait cru en la bonne foi des autorités dominicaines à tenir leurs promesses de ne pas organiser de rapatriement massif encore moins de violer les droits des migrants haïtiens.
Toutefois, le constat sur le terrain du nombre de déportés que nos institutions et les agences humanitaires internationales ont pu accueillir au cours des deux dernières semaines annonce déjà des signes d’une catastrophe humanitaire pouvant déstabiliser le pays et son économie. Mesdames, Messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement Monsieur le Secrétaire Général de la CARICOM, La République Haïti s’engage dans un processus électoral devant permettre le renouvellement de son personnel politique.
La gestion de ce processus exige calme, sérénité et clairvoyance. Les déportations massives et indiscriminées de ressortissants haïtiens sont de nature à fragiliser le processus et saper la fragilité politique du pays. Sur le plan économique et social les maigres ressources dont dispose l’Etat haïtien ne pourront lui permettre de faire face à ces déportations massives qui risquent de mettre en danger la paix et la sécurité régionales.
La République d’Haïti renouvelle son engagement à résoudre ce conflit d’une manière pacifique conformément à l’article 33 de la Charte de l’ONU. Cependant, elle demeure convaincue que ce drame humanitaire auquel elle fait face avec dignité ne manquera pas de susciter la solidarité des peuples frères et des organisations internationales, régionales et sous-régionales comme cela a toujours été le cas dans le passé.
Je vous remercie.
Source/Le Nouvelliste
Photo/Archives/L’Express
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