Décès

Monde: Décès du dernier géant de la chanson française Charles Aznavour

PARIS, France – Sa carrière aura connu une longévité à nulle autre égale dans le music-hall et la chanson. Charles Aznavour, qui était monté sur les planches pour la première fois à 9 ans, vient de tirer sa révérence à l’âge de 94 ans. Le plus arménien des chanteurs français s’est éteint à son domicile dans les Alpilles. La chanson française est orpheline de son doyen et de son plus illustre ambassadeur.

Charles Aznavour, c’est une voix feutrée identifiable à la première seconde, un timbre qui fut au départ un handicap avant de forger sa griffe. C’est une silhouette, la gestuelle d’un mime nerveux, une taille modeste (1,60 mètre) qui ne l’empêcha pas, à force de persévérance, de devenir un géant de la chanson. C’est un regard perçant et des textes affûtés, ciselés, des mots sans complaisance évoquant différents thèmes de la vie : la quête de gloire, l’amour, le désamour, la sensualité, la jeunesse perdue, l’usure du quotidien, mais aussi l’homosexualité dans “Comme ils disent”, une chanson en avance sur son temps, ou encore le génocide dont les Arméniens, le peuple dont il était originaire, furent victimes au début du XXe siècle, dans “Ils sont tombés”. Charles Aznavour avait été nommé ambassadeur d’Arménie en Suisse, le pays où il résidait, en 2009.

La carrière de Charles Aznavour dans la chanson, c’est plus de sept décennies de scène, 1.300 chansons écrites pour lui ou d’autres (parmi lesquels Édith Piaf, Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Gilbert Bécaud), 1.400 chansons enregistrées en huit langues différentes, une cinquantaine d’albums studio sans compter leurs versions anglaise, espagnole, allemande ou italienne et des titres gravés en arménien ou en russe, une vingtaine d’albums live, quelque 180 millions de disques vendus, selon les chiffres de son site officiel, et un nombre inchiffrable de concerts.

Charles Aznavour, c’est aussi une carrière au cinéma, avec des rôles dans environ quatre-vingt-dix films (dont “Tirez sur le pianiste” de François Truffaut en 1960, “Un taxi pour Tobrouk” de Denys de La Patellière” la même année et “Ararat” d’Atom Egoyan en 2002) et téléfilms (dont “Le Père Goriot” de Jean-Daniel Verhaeghe, d’après le roman de Balzac, en 2004).

Enfant de la balle
Charles Aznavour est né le 24 mai 1924 à Paris, rue Monsieur-le-Prince (6e), dans une famille d’artistes. Il est le fils de Micha Aznavourian, ancien baryton, natif de Géorgie, et de Knar Baghdassarian, comédienne, qui séjournaient en France en attendant un visa pour les États-Unis. Le prénom choisi par les parents, Shahnour, s’avérant difficile à orthographier, l’enfant reçoit le prénom de Charles. La famille décide de rester à Paris. Charles et sa sœur aînée Aïda baignent dans un univers artistique : leur père tient un restaurant, Le Caucase, fréquenté par des artistes et où il chante. Après la faillite du restaurant, Micha ouvre un café face à l’École des enfants du spectacle : le petit Charles, qui souhaite devenir acteur, s’y retrouve inscrit.

Charles a 9 ans quand il raccourcit son nom de famille pour la scène et débute au Théâtre du Petit Monde une carrière de comédien et de chanteur. Bientôt, il applaudit Maurice Chevalier sur scène, devient fan de Charles Trenet et intègre la compagnie de l’homme de théâtre Jean Dasté. En 1941, il se lie d’amitié avec le pianiste et compositeur Pierre Roche, de cinq ans son aîné, et avec lequel il forme un duo musical.

Retrouvailles du duo Roche et Aznavour sur la scène de l’Olympia en décembre 1972
La rencontre avec Édith Piaf
En 1946, Édith Piaf, alors vedette de la chanson, remarque le jeune Charles, âgé de 22 ans. Elle invite le duo Roche et Aznavour à l’accompagner en tournée, avec les Compagnons de la Chanson, à travers la France et l’Amérique du Nord. Les deux jeunes hommes prolongent leur séjour au Québec où ils se produisent pendant un an et demi à partir de 1948, et sortent six 78 tours jusqu’en 1950. Pierre Roche décide de s’installer au Canada, mais Piaf dissuade Aznavour d’en faire autant et l’intègre dans sa garde rapprochée, l’embauchant comme régisseur et chanteur pour ses premières parties.

Pendant quelques années, Charles Aznavour sera le secrétaire, l’homme à tout faire, le chauffeur, le confident d’Édith Piaf. Il lui écrit des chansons parmi lesquelles “Plus bleu que tes yeux” et “Jezebel”. En échange, elle lui prodigue des conseils pour sa jeune carrière. En 1950, c’est Piaf qui conseille à Aznavour de se faire refaire le nez, constatant combien cette partie de son visage le complexait.

Édith Piaf : “Plus bleu que tes yeux” (Aznavour, 1951)
Des débuts solo en dents de scie
Au début des années 50, Aznavour signe des textes pour Gilbert Bécaud et essuie, en tant qu’auteur-compositeur-interprète, les premiers contrecoups de sa notoriété naissante. Dans la biographie de son site officiel, il se souvient : “Ce fut une période merveilleuse même si les critiques étaient cruels. Quels sont mes handicaps ? Ma voix, ma taille, mes gestes, mon manque de culture et d’instruction, ma franchise, mon manque de personnalité. Ma voix ? Impossible de la changer. Les professeurs que j’ai consultés sont catégoriques : ils m’ont déconseillé de chanter. Je chanterai pourtant, quitte à m’en déchirer la glotte. (…) Je peux avoir les possibilités d’un chanteur classique, malgré le brouillard qui voile mon timbre.” En 1952, il postule en vain pour intégrer les Compagnons de la Chanson, dont le cofondateur Marc Herrand vient de partir.

En 1955, Charles Aznavour fait sa première apparition à la télévision dans l’émission Télé-Paris à Cannes. Il y chante “Le Palais de nos chimères”.

Charles Aznavour chante “Le palais de nos chimères” – 1955
Le succès
En 1956, le succès est enfin là. Aznavour fait ses débuts à L’Olympia, le temple incontournable du music-hall, et pour l’occasion, il écrit “Sur ma vie” qui s’impose comme son premier grand succès en tant que chanteur. Ses détracteurs ne se taisent pas pour autant, mais l’artiste, jeune trentenaire, continue de poser les jalons de sa marche vers la gloire.

Sur scène, probablement dans les années 70, Charles Aznavour chante “Sur ma vie” a cappella
Le 12 décembre 1960, sur la scène de l’Alhambra, à Paris, devant un public jusque-là frileux, il interprète pour la première fois une nouvelle chanson, “Je m’voyais déjà”, écrite quelque temps plus tôt à Bruxelles après avoir observé un chanteur qui peinait à toucher le public dans un bar de la capitale belge. Au départ, il a proposé la chanson à Yves Montand qui l’a refusée. Le nouveau titre, dernière cartouche d’Aznavour ce soir-là, fera basculer le public de l’Alhambra en sa faveur. Tout d’abord muette, et alors que le chanteur, qui a brièvement regagné les coulisses, envisage sérieusement de jeter l’éponge, la salle ovationne Charles Aznavour.

Charles Aznavour chante “Je m’voyais déjà” dans l’émission “Le Palmarès des chansons” le 16 décembre 1965
Les décennies 1960 et 1970 sont ponctuées d’immenses succès qui forgent la légende Aznavour : “Les deux guitares” (1960), “Tu t’laisses aller” (1960), “Il faut savoir” (1961), “Les comédiens” (1962), “La mamma” (1963), “Et pourtant” (1963), “For me formidable” (1963), “Hier encore” (1964), “Que c’est triste Venise” (1964), “La Bohème” (1965), “Paris au mois d’août” (1966), “Emmenez-moi” (1967), “Désormais” (1969), “Non, je n’ai rien oublié” (1971), “Mourir d’aimer” (1971), chanson inspirée par le film éponyme d’André Cayatte, “Les plaisirs démodés” (1972)…

Aznavour a non seulement résisté à la vague yéyé, mais il y a apporté sa contribution, signant de grands succès du couple phare du moment : avec Georges Garvarentz à la composition, il a écrit “Retiens la nuit” (1961) pour son ami Johnny Hallyday et “La plus belle pour aller danser” (1963) pour Sylvie Vartan. Garvarentz, beau-frère de Charles Aznavour (il a épousé sa sœur Aïda en 1965), signe les musiques de plusieurs de ses chansons.

Charles Aznavour chante “Comme ils disent” le 22 décembre 1973 dans l’émission “Top à Charles Aznavour”
En 1972, la chanson “Comme ils disent”, qui narre à la première personne la vie et les tourments d’un homosexuel, marque les esprits. C’est aussi le cas des arrangements et du ton de “Mes emmerdes” (1976). Entre-temps, son titre en anglais “She” (1974) a atteint la première place du hit-parade en Grande-Bretagne, un exploit pour un artiste français. À ce moment, la notoriété de Charles Aznavour a déjà franchi les frontières hexagonales. Le 30 mars 1963, le chanteur s’est produit au célèbre Carnegie Hall de New York. Jusque-là, outre Atlantique, on le connaissait davantage en tant qu’acteur grâce à François Truffaut et son film “Tirez sur le pianiste” (1960).

Charles Aznavour dans “Tirez sur le pianiste” de François Truffaut (1960)
Durant les années 70, le chanteur-acteur connaît de sérieux problèmes avec les autorités fiscales françaises. En 1976, il s’installe en Suisse avec sa famille. Condamné à une lourde amende, il gardera rancune de ses démêlés avec la justice française. Il vit quelques années aux États-Unis et retourne en Suisse en 1984.

Son engagement pour l’Arménie
Pour Charles Aznavour, les années 80 resteront marquées par une activité tous azimuts visant à apporter son soutien au pays de ses ancêtres, l’Arménie, frappée par le séisme du 7 décembre 1988. Avec des dizaines d’artistes et personnalités, il enregistre la chanson “Pour toi Arménie” (1989) dont les recettes serviront à soutenir une fondation d’aide solidaire. Les Arméniens lui vouent une gratitude sans limite. Une place est rebaptisée à son nom à Erevan, la capitale arménienne, et une statue d’Aznavour est érigée à Gyumri, la ville la plus touchée par le séisme. Fin 2008, Charles Aznavour recevra la citoyenneté arménienne et en février 2009, il sera nommé ambassadeur d’Arménie en Suisse. Il deviendra également représentant permanent de l’Arménie auprès de l’Onu à Genève.

Quelques années plus tôt, en avril 1975, il avait enregistré “Ils sont tombés”, une chanson en hommage aux victimes du génocide des Arméniens de 1915, et dont Georges Garvarentz avait signé la musique,

Charles Aznavour : “Ils sont tombés” (1975)
Dans les années 90, Charles Aznavour fait partie de ces artistes qui font peu de cas des cloisons entre les genres musicaux. Il chante avec les ténors Luciano Pavarotti et Placido Domingo. Il se produit avec le violoncelliste russe Mstislav Rostropovitch pour célébrer la présidence française de l’UE. Il repère la chanteuse québécoise Linda Lemay et l’aide à lancer sa carrière. Des années plus tard, il affichera son soutien aux artistes de rap à l’occasion de diverses déclarations à la télévision et chantera avec Kery James. Par ailleurs, en 1995, il rachète les éditions musicales Raoul Breton, dont le catalogue englobe des chansons de Trenet, Piaf, Bécaud ou encore le célèbre “Chant des Partisans”.

En 1998, Aznavour réenregistre une quinzaine de chansons avec une coloration jazz et des artistes tels que Dianne Reeves, Michel Petrucciani, Eddy Louiss et Jacky Terrasson, pour un album intitulé “Jazznavour”. L’année précédente, le prestigieux festival de Montreux lui a dédié une soirée de prestige où officiait George Duke, et à laquelle participaient des personnalités comme Manu Dibango et les acteurs David Soul – grand fan d’Aznavour- et Lambert Wilson.

Par la suite, Charles Aznavour continue de sortir tantôt des albums de chansons originales, tantôt de nouvelles réorchestrations ou réenregistrements sous forme de duos de ses succès. Il écrit des ouvrages biographiques et un recueil de nouvelles. Et il repart régulièrement en tournée, faisant fi de son âge. Le 15 juin 2013, il rejoint Johnny Hallyday qui fête alors ses 70 ans, sur la scène de Bercy. Ensemble, ils chantent sa chanson “Sur ma vie”. Très affecté par la mort de son ami le 5 décembre 2017, il ne peut assister à ses obsèques du fait d’un engagement le soir même à Vienne, en Autriche.

Charles Aznavour, qui s’était marié à trois reprises, a eu six enfants dont un fils, Patrick, mort à 25 ans. En 1967, il avait épousé la Suédoise Ulla Thorsell.

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Source/France tv Info
Photo/Archives
www.anmwe.com

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