PORT-AU-PRINCE – Worolson Rochefort est assis sur une moto à l’arrêt. Trois semaines après le premier tour de l’élection présidentielle, il arbore encore un t-shirt à l’effigie du candidat qu’il appuie : Jovenel Moïse, le protégé du président sortant, Michel Martelly. « Je ne suis pas pour Martelly, mais je suis pour Jovenel », précise Worolson Rochefort.
Devant sa maison modeste du quartier Canapé-Vert, l’étudiant de 21 ans observe la vallée qui lui fait face. Elle est traversée par une ravine et parsemée de plusieurs dizaines de petites maisons en blocs de béton et en tôle.
« J’ai voté pour Jovenel Moïse, pour que les jeunes comme moi ne restent plus assis à ne rien faire. Pour qu’il nous donne du travail », dit Worolson Rochefort.
Entrepreneur de 48 ans, Jovenel Moïse a créé la surprise en remportant au premier tour 55,67 % des voix, selon les résultats préliminaires dévoilés fin novembre. Peu connu du grand public, il a été désigné pour représenter le parti de l’ancien président Michel Martelly au printemps 2015. Depuis 2012, il a mis sur pied la première zone franche agricole d’Haïti. Son entreprise de culture de bananes biologiques lui a valu son surnom d’« homme banane ». Elle emploie aujourd’hui, selon lui, plus de 3000 personnes.
Les trois autres principaux candidats, Jude Célestin, Jean-Charles Moïse et Maryse Narcisse, issus de deux grandes familles politiques, n’apporteront « rien de nouveau », selon M. Rochefort. Le vote de l’étudiant se veut une contestation de la classe politique « qui n’a jamais rien fait pour [eux] ».
CAMPAGNE SIGNÉE OSTOSSOLA
Depuis l’annulation du scrutin, l’année dernière, pour irrégularités, le président du Sénat a assumé la présidence provisoire d’Haïti. Désormais, loin des officines du palais, Jovenel Moïse a ainsi tenté, durant toute la campagne, de se faire passer pour un outsider, plutôt que pour un homme proche du pouvoir.
Financée en bonne partie par des industriels haïtiens et dominicains, la campagne de Jovenel Moïse, très pugnace sur les médias sociaux, a été orchestrée par l’agence OstosSola. On doit entre autres à cette société espagnole les victoires électorales en Argentine, au Mexique, de même que celle de Martelly en 2010.
« Aussi, Jovenel Moïse n’est pas un “clair de peau” », explique Jean Élie, jeune chauffeur de taxi du quartier Croix-des-Prez. Sa peau foncée, ses origines régionales modestes et son travail en agriculture sont des gages de sa compréhension de la réalité des plus démunis, selon les partisans du candidat.
RÉSULTATS ANNONCÉS JEUDI
Dans un pays habitué à se demander si la victoire d’un candidat est « plausible », plutôt qu’à s’interroger sur les chiffres précis, la période de contestation judiciaire prévue dans le calendrier électoral vient de prendre fin. Les résultats définitifs du premier tour de la présidentielle seront annoncés jeudi.
« Les résultats, c’est de la fraude », juge tout de même Gerson, ébéniste de 35 ans, un gant de plastique taché de teinture sur la main gauche.
Dans son atelier à l’entrée du bidonville de Jalousie, le débat sur les élections anime encore ses collègues.
« Non, c’est possible [que Jovenel Moïse l’ait remporté au premier tour] en cumulant toutes les zones », réplique un collègue arborant un t-shirt du candidat victorieux, au milieu de chaises et de tables en bois empilées.
« De toute façon, la plupart des candidats mentent, rappelle de son côté le jeune Rochefort sur sa moto, toujours sceptique devant les promesses des politiciens haïtiens. On va essayer une dernière fois avec celui-là, pour voir. »
Cette désillusion est d’ailleurs le trait commun de cette campagne électorale. Selon le Conseil électoral, à peine 21 % des votants ont participé au scrutin.
Qui est Jovenel Moïse?
Né dans une famille d’agriculteurs modestes du nord d’Haïti, Jovenel Moïse est avant tout un homme d’affaires. Il étudie en enseignement dans une université de Port-au-Prince avant de retourner, en 1996, avec sa nouvelle épouse, dans une petite ville du nord du pays. Il y fonde un commerce de pièces de voitures et lance, la même année, sa première culture de bananes de 10 hectares. Il commence à exporter le fruit en 2002, deux ans avant de devenir président de la chambre de commerce de sa région. Il met en place entre 2012 et 2014, avec l’aide d’un prêt équivalant à 8 millions CAN du gouvernement de Michel Martelly, la première zone franche agricole du pays.
Principales promesses électorales
Comme la plupart de ses opposants, Jovenel Moïse promet de s’attaquer à la pauvreté. Pour y arriver, il veut encourager la production agricole et l’entrepreneuriat. En agriculture, il promet d’ouvrir 10 autres zones franches agricoles vouées à l’exportation, 570 serres et plusieurs zones industrielles pour la transformation des produits. Il promet également de régler les graves problèmes fonciers du pays par des réformes administratives.
Tout comme Michel Martelly, il voit d’un oeil favorable l’investissement privé étranger, en particulier pour développer l’industrie touristique. Il promet d’ailleurs un téléphérique pour atteindre la citadelle La Ferrière, majestueuse forteresse à 900 mètres d’altitude classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Le Canada priorise aussi l’agriculture en Haïti
En visite en Haïti, la ministre canadienne du Développement international et de la Francophonie, Marie-Claude Bibeau, a annoncé le mois dernier l’ouverture d’un appel de propositions de 50 millions CAN pour des projets en agriculture, un secteur d’intervention où le Canada était peu présent auparavant : « De quelle façon peut-on faire en sorte que le secteur de l’agriculture soit plus résilient ? se demandait-elle en entrevue avec La Presse. J’ai eu le privilège de rencontrer le premier ministre [et] le secteur de l’agriculture était nommé parmi les priorités. Et d’autant plus avec la situation actuelle où le grenier d’Haïti a été durement touché par [l’ouragan] Matthew et qu’il faut reconstruire. »
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Source/La Presse
Photo/Archives
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