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Haiti: Port-au-Prince s’en va à la mer

PORT-AU-PRINCE – Au commencement était la montagne : le poumon et la réserve d’eau de la capitale.
A la fois un climatiseur naturel contre l’été caniculaire et une source inaltérable à l’abri de toute maladie, pour commencer le choléra.

Pendant longtemps le seul bâtiment dominant la capitale a été un restaurant appelé à juste titre, Le Belvédère.
Auquel répondait en écho du côté sud, l’hôtel Castel Haïti.
Celui-ci a disparu dans le séisme du 12 janvier 2010.

Sous Papa Doc (1957-1971), les ministres et membres importants du pouvoir habitaient à la capitale, pratiquement au centre ville et même dans les quartiers populaires (le Bel-Air, Carrefour Feuilles, Bolosse etc).
Le dictateur l’exigeait, pour être mieux informé des moindres activités de la population.
Mise en coupe réglée …
Mais dès l’arrivé du fils Baby Doc (1971-1986), les choses changent.
Le jeune président ouvrit la percée en force dans la montagne. Sa nouvelle résidence, le Petit Rocher, se trouve jusqu’à La Boule, presqu’au sommet du Morne L’Hôpital.

Suivi aussitôt par ses courtisans puis peu à peu l’élite, nouvelle et plus ancienne.
Commence la mise en coupe réglée de la montagne dominant la capitale, qui la protège et qui la nourrit.

Ce sont donc les nantis qui ont commencé le massacre.
Dans l’anarchie la plus totale …
Comme d’habitude en Haïti, c’est le chacun pour soi, l’occupation du territoire et les constructions s’effectuent sans aucun souci d’urbanisme. Dans l’anarchie la plus totale. Nulle protection des sources et des ravins. Et des autres éléments qui assurent que la montagne ainsi massacrée ne déboulonnera un jour sur nos têtes.

Puis vient le 7 février 1986. Duvalier s’enfuit dans la nuit noire pour l’exil. Finie la dictature sanguinaire. Les masses gagnent les rues. Et depuis elles y restent. Elles y campent. ‘Salon pèp la’. ‘Yon pa kita, yon pa nago.’
Mais où était jusque-là tout ce monde ?

Pour cacher ses faiblesses, la dictature faisait contenir le peuple au plus bas de la capitale, derrière un véritable rideau de fer. Lors appelé ‘Cité Simone Ovide Duvalier’, c’est désormais avec la liberté retrouvée, Cité Soleil, aujourd’hui le plus grand bidonville d’Haïti.
On se jette la pierre les uns les autres …
Mais ce n’est pas d’où nous vient aujourd’hui tout le mal, malgré le tam-tam qui en a été fait au temps des troubles qui ont marqué les deux passages de Jean-Bertrand Aristide au pouvoir (1991-1995 – 2001-2004) … que de la montagne qui n’a cessé depuis de gronder par-dessus nos têtes.

Parce que l’une des principales conséquences de l’instabilité politique qui aura été le trait dominant de l’Haïti post-dictature et de notre transition éternelle vers la démocratie, c’est la mise en pièces détachées, puis en petits morceaux de toutes les hauteurs qui dominent Port-au-Prince et la zone métropolitaine, en long et en large, aux quatre points cardinaux comme le démontrent les dégâts des dernières intempéries où autant les agglomérations autour de Pétionville au nord que celles dans la commune de Carrefour au sud, et d’est en ouest et vice versa, ont été réduites en charpie. Nombreuses habitations effondrées ou disparues sous les éboulements. Au moins 10 morts.

Comme d’habitude on se jette la pierre les uns les autres. Pour l’élite c’est le peuple qui a transporté ses cordons de masures aussi haut que porte le regard, noyant dans cet océan de crasse et de laideur tous les belvédères d’hier et d’aujourd’hui.
Mais on vient de voir par qui le scandale a commencé.
Montagnes blanchies jusqu’aux os …
Puis lorsque les militaires ont renversé Aristide en septembre 1991, 7 mois seulement après son élection à la présidence dans un raz de marée, les généraux récompensèrent la troupe, devinez ? En autorisant leurs hommes (du colonel au sergent) à s’emparer de toutes les terres propriété de l’Etat encore disponibles autour de la capitale.

Il ne restait que les zones jusqu’à présent interdites de construction, c’est-à-dire le rivage dans la baie de Port-au-Prince, devenu aussitôt ‘Cité Libète’, nom on ne peut plus rigolo pour un nouveau bidonville en ces temps de liberticide ( !), et ensuite les endroits dans les hauteurs jusque-là les moins habités parce que situés en plein sur le chemin des torrents tumultueux à la première goutte de pluie. Et dont le plus célèbre est déjà connu dans le monde sous l’appellation romantique de ‘Jalousie.’ Surtout depuis que le pouvoir Martelly lui a passé un petit coup de rouge à lèvres. La même stratégie du rideau de fer de Baby Doc, mais en version Facebook !

Evidemment tout le monde, riches et pauvres, résidents des hauteurs comme ceux que la mer gonflée par les averses en cours a chassé de leur demeure et emporté leurs maigres possessions, tous accusent l’Etat comme si celui-ci était le seul responsable de ce gâchis. Un pays qui s’en va à la mer dont il ne restera bientôt que des villes squelettiques et des montagnes blanchies jusqu’aux os (merci Carl Brouard !), tandis que la population aura fui on ne sait où. Comme des rats, annonçant l’arrivée de Nosferatu, le mal suprême.

Oui, c’est bien l’Etat le responsable. De n’avoir pas prévenu la catastrophe. D’abord par peur de déranger les puissants. Puis plus tard par peur de déranger aussi le peuple. Pardon les masses. Afin de bénéficier de leurs votes.

Puis aujourd’hui simplement par peur, cet Etat ignorant la notion même … de l’Autorité de l’Etat !

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Source/Haïti en Marche, 6 Mai 2016
Photo/Archives
www.anmwe.com

Tabarre

 

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