CARACAS, Vénézuéla – Le président de l’Assemblée nationale du Venezuela, Juan Guaido, s’est déclaré président par intérim du pays à la place de Nicolas Maduro, devant des milliers de ses partisans en liesse, mercredi, à Caracas. Il a été immédiatement reconnu par les États-Unis, le Canada et plusieurs États sud-américains. M. Maduro a aussitôt rompu les liens avec Washington.
« Je jure d’assumer formellement les compétences de l’exécutif national comme président en exercice du Venezuela pour parvenir […] à un gouvernement de transition et obtenir des élections libres », a lancé M. Guaido, 35 ans, à ses partisans depuis une tribune érigée mercredi dans la capitale.
Cette déclaration de celui qui a été élu président de l’Assemblée nationale vénézuélienne au début du mois de janvier était attendue.
Au lendemain de l’assermentation de Nicolas Maduro pour un second mandat de six ans, il avait dit être prêt à remplacer M. Maduro à titre de président du pays, ouvrant la voie à une nouvelle confrontation entre le pouvoir et l’opposition. Il a été brièvement détenu deux jours plus tard.
L’opposition considère que le mandat de Nicolas Maduro, qui dirige le pays depuis la mort d’Hugo Chavez, n’est pas légitime, puisqu’il a été élu lors d’un scrutin frauduleux boycotté par l’opposition.
M. Guaido avait toutefois prévenu qu’il lui fallait obtenir l’appui du peuple vénézuélien, de l’armée et de la communauté internationale pour réussir. Il avait, du coup, appelé les Vénézuéliens à manifester dans les rues du pays le 23 janvier, date anniversaire d’un soulèvement populaire qui a entraîné le renversement du dictateur Marcos Perez Jimenez, en 1958.
La Cour suprême du Venezuela, composée de fidèles du président Maduro, a ordonné une enquête pénale contre les membres de l’Assemblée nationale, en les accusant d’usurper les prérogatives du président vénézuélien.
Le pays entre en territoire inconnu, avec la possibilité d’une opposition se retrouvant à la tête d’un gouvernement parallèle reconnu comme légitime sur la scène internationale, mais sans contrôle sur l’appareil de l’État.
Plusieurs appuis, dont ceux de Washington et Ottawa
Juan Guaido n’a pas tardé à obtenir des appuis de l’étranger.
Le président américain, Donald Trump, a annoncé, dans un communiqué publié en début d’après-midi, qu’il reconnaissait officiellement M. Guaido comme président par intérim du pays. L’Assemblée nationale est « la seule branche légitime du gouvernement », peut-on lire.
Prié de dire un peu plus tard s’il pourrait envoyer des soldats américains au Venezuela, M. Trump a répondu: « Nous n’avons rien prévu, mais toutes les options sont sur la table. »
Le peuple du Venezuela a courageusement parlé contre Maduro et son régime et a exigé la liberté et l’État de droit. Je continuerai à utiliser toute la puissance économique et diplomatique des États-Unis pour faire pression en faveur du rétablissement de la démocratie vénézuélienne.
Donald Trump, président des États-Unis
L’administration américaine pourrait imposer des sanctions sur le pétrole vénézuélien dès cette semaine, selon des sources de l’agence Reuters.
Dans un communiqué, la grande majorité des pays membres du Groupe de Lima, dont le Canada, ont également exprimé leur soutien au président intérimaire autoproclamé.
Créé en 2017 pour trouver une sortie de crise pacifique à la situation vénézuélienne, le Groupe de Lima rassemble des pays d’Amérique latine et le Canada.
Le Canada, le Brésil, la Colombie, l’Argentine, le Paraguay, le Pérou, le Chili, le Guatemala, le Costa Rica, le Honduras et le Panama ont réclamé de nouvelles élections « dans les plus brefs délais, avec la participation de tous les acteurs politiques et avec les garanties et normes internationales nécessaires à un processus démocratique ».
Les 11 pays ont en outre demandé que soient garantis « le respect de la règle de droit, les droits fondamentaux de la population et la paix sociale ».
Depuis Davos, en Suisse, où elle participe au Forum économique mondial, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, avait quelques heures auparavant reconnu la légitimité de Juan Guaido, exprimant le « soutien complet » du Canada.
L’Organisation des États américains (OEA), basée à Washington, et le Conseil européen, qui représente les 28 États membres de l’Union européenne (UE), ont eux aussi salué l’arrivée de M.Guaido à la tête du pays.
Le Mexique, la Bolivie et Cuba ont cependant exprimé leur soutien à Nicolas Maduro
Selon Mexico, qui fait aussi partie du Groupe de Lima, une solution démocratique doit être trouvée au terme d’un dialogue entre Vénézuéliens.
Maduro rompt les liens avec Washington
Devant ses partisans, M. Maduro a soutenu que l’opposition tentait un coup d’État. Il a aussi annoncé que le Venezuela rompait les relations diplomatiques avec les États-Unis, et a donné 72 heures au personnel diplomatique américain pour quitter le pays.
J’ai décidé de rompre les relations diplomatiques et politiques avec le gouvernement impérialiste des États-Unis. Dehors! Qu’ils s’en aillent du Venezuela, ici il y a de la dignité, voyons!
Nicolas Maduro
Maduro a également invité l’armée à maintenir son unité et sa discipline, une réaction à la promesse du Parlement d’accorder une « amnistie » aux militaires qui refuseraient de reconnaître le nouveau mandat du président.
L’appel semble avoir été entendu, puisque l’armée vénézuélienne a rejeté l’autoproclamation de Juan Guaido. « L’armée défend notre Constitution et est garante de la souveraineté nationale », a affirmé le ministre de la Défense, Vladimir Padrino.
Les chefs de l’armée vénézuélienne sont considérés comme loyaux à M. Maduro, mais un groupe de 27 militaires s’est brièvement soulevé lundi dans une caserne située au nord de Caracas, en lançant des appels à l’insurrection. Ils ont été arrêtés.
Une trentaine d’émeutes ont eu lieu dans la foulée dans des quartiers populaires, traditionnellement acquis à M. Maduro. Des chars anti-émeutes ont même patrouillé dans les rues de la capitale dans la nuit de mardi à mercredi.
Des dizaines de milliers de Vénézuéliens, souvent vêtus de blanc, ont répondu mercredi à l’appel de M. Guaido, tant à Caracas que dans d’autres régions du pays, prouvant qu’au moins une partie de la population l’appuie. Ils exigent un gouvernement de transition et de nouvelles élections.
Les commerces, écoles et institutions sont restés fermés pour l’occasion. Les violentes manifestations de 2017 contre le président Maduro , qui ont fait 125 morts, sont encore dans toutes les mémoires.
Des heurts entre forces de l’ordre et partisans de l’opposition ont eu lieu après que M. Guaido s’est proclamé président, selon des journalistes de l’AFP. Les violences se sont produites quand des dizaines d’opposants ont bloqué une artère principale dans le quartier d’Altamira, banlieue cossue de Caracas. Des membres de la Garde nationale ont alors tenté de les déloger en faisant usage notamment de gaz lacrymogène.
Des partisans de Nicolas Maduro, habillés de rouge pour la plupart, ont aussi organisé une contre-manifestation dans la capitale du pays. Ils soutiennent que l’opposition se livre à un coup d’État orchestré par le gouvernement américain.
Les manifestants pro-Maduro ont été appelés à se diriger vers le palais présidentiel, où M. Maduro a fait une apparition en après-midi.
Des affrontements survenus avant ces manifestations rivales ont fait cinq morts. Un mineur de 16 ans a été tué lors d’un rassemblement dans le quartier populaire de Catia, dans l’ouest de Caracas, et quatre personnes sont mortes lors de pillages dans l’État de Bolivar (sud), où une statue de l’ex-président Chavez a aussi été brûlée.
Une Assemblée nationale privée de pouvoirs
L’Assemblée nationale vénézuélienne, dominée par l’opposition, a été dépouillée de tous ses pouvoirs par une Assemblée constituante dominée par des partisans du président Maduro, élus à l’été 2017 au terme d’un vote discrédité.
Le Venezuela est aujourd’hui un pays exsangue que ses citoyens fuient par centaines de milliers, en raison de la situation politique, mais aussi des conditions économiques désastreuses, marquées par des pénuries de produits rudimentaires.
Cette spirale a été accélérée par l’effondrement des cours du pétrole, qui compte pour 95 % des revenus du pays.
Selon le Fonds monétaire international, le PIB du Venezuela a chuté de 18 % l’an dernier et l’inflation atteindra 10 000 000 % en 2019.
Source/Radio-Canada
Photo/Le Point
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