Culture

Haiti: Environ 1,000 zombis par année en Haïti selon des scientifiques

PORT-AU-PRINCE – Roland Littlewood du département d’Anthropologie et de Psychiatrie de l’University College de Londres et feu Chavannes Douyon de la Polyclinique Medica de Port-au-Prince ont publié en octobre 1997 dans la prestigieuse revue scientifique médicale britannique The Lancet un article intitulé : « Clinical Findings in Three Cases of Zombification (1)». Dans la réflexion sur le phénomène de la zombification en Haïti, il s’agit d’une avancée remarquable qui porte le débat dans les laboratoires scientifiques et les salles de cours des universités étrangères. L’article a été cité au moins 44 fois dans d’autres recherches académiques par d’autres chercheurs. Littlewood et Douyon (1997) rappellent que la zombification est devenue un sujet de grand intérêt occidental depuis l’occupation d’Haïti par les États-Unis entre 1915 et 1934.

Mais plus alarmant encore, selon les estimations des auteurs datant de 1997, le nombre de personnes victimes de la zombification en Haïti s’élevait à environ mille nouveaux cas par an à travers le pays. Des estimations supportées par le Dr Louis Price Mars (fils du Dr Jean Price Mars) qui était, à l’époque, professeur-chercheur à l’Université d’État d’Haïti (UEH) et fonctionnaire au ministère de la Santé publique. Il s’agirait donc d’un inquiétant phénomène de santé publique qui mériterait l’intervention de l’État. Bien entendu, les rares cas analysés par des chercheurs haïtiens et étrangers sont ceux des zombis qui reviennent à la vie publique en regagnant leurs familles. L’exemple le plus connu est celui de Clairvius Narcisse qui a été étudié en profondeur par Lamarque Douyon (1980), Wade Davis (1983a, 1983b, 1983c, 1985), Bernard Diederich (1983), Nathan Kline (1980), Heinz Lehmann (1980) et Hulse (BBC, 1981).

Si les estimations de Littlewood et Douyon (1997) étaient vraies, la zombification serait une cause de mortalité plus effrayante que le kidnapping, les accidents de la route et l’insécurité réunis. D’où la nécessité pour l’État haïtien de mener une investigation nationale rigoureuse sur le phénomène afin d’envisager les mesures appropriées. L’interprétation haïtienne, précisent les auteurs de l’article, est qu’un zombi est une jeune personne qui, soit par l’empoisonnement ou par la sorcellerie, tombe soudainement et inexplicablement malade, reconnue morte par sa famille et/ou par des médecins, inhumée, puis relevée et captée par un bòkò qui le garde secrètement en vie avec des facultés affaiblies.

À travers le processus de zombification, indiquent-ils, le cadavre du zombi est séparé est de son « gro bon anj » et de son « ti bon anj ». Le « gro bon anj » est capté par le bòkò et gardé hermétiquement dans une bouteille. Il s’agit, poursuivent les auteurs, du corps astral de la victime qui est complètement différent du corps physique, utilisé comme esclave. Ils relatent trois manières par lesquelles le zombi peut retourner à la vie normale : i) la bouteille contenant le corps astral est brisé ii) le bòkò est mort et le zombi est relâché ou s’est évadé par relâchement de la surveillance iii) le zombi, très rarement, est libéré par une intervention mystérieuse. Même après l’évasion, son état mental et physique demeure le même, rendant la victime toujours vulnérable à une nouvelle capture pour être refaite esclave. Il lui faut alors un traitement médical et mystique pour recouvrer ses facultés initiales.

Littlewood et Douyon (1997) indiquent que très peu de bòkò ou de médecins haïtiens prétendent pouvoir permettre à un zombi de recouvrer son état initial d’avant sa mort apparente. Selon eux, on identifie un zombi par son intonation nasale qui représente une manifestation de « l’esprit de la mort », une expression figée, des actions maladroites, répétées et sans objectifs précis. Son discours est également répétitif et limité. Pour éviter à leurs proches décédés de connaître de pareille mésaventure, les auteurs de l’étude révèlent que certains parents haïtiens procèdent purement et simplement à la décapitation des morts avant leurs funérailles.

Les auteurs ont documenté dans les moindres détails trois cas de zombification recensés dans le Sud d’Haïti : deux jeunes filles de 30 et 31 ans et un jeune homme de 26 ans. Les chercheurs ont rencontré leurs familles, les villageois et des bòkò pratiquant la zombification. Des tests ADN ont été réalisés pour vérifier les liens de parenté des zombis avec leurs familles. Les causes de zombification mentionnées par les victimes et leurs proches sont la jalousie, l’aigreur, la pure méchanceté et des conflits liés à l’héritage familial.

Mais le vodouisant et spécialiste de la communication Norluck Dorange a une tout autre justification du phénomène. Pour lui, quand un membre de la famille d’un notable des zones reculées a commis un acte répréhensible (comme un vol par exemple), le père de la famille peut décider de le faire zombifier pour laver l’affront de la famille. Mais cela n’enlève en rien le caractère criminel de l’acte. Au Canada, on considère ce genre de crime comme un crime d’honneur.

Littlewood et Douyon (1997) indiquent avoir interviewé deux bòkò pratiquant la zombification. Ils ont participé à une cérémonie vodou chez l’un d’entre eux. Ce dernier possède son propre péristyle et ses sociétés secrètes : zobop, bizango, cochon gris et un secte rouge qui sont impliqués dans des actes de zombification. Tandis que l’autre bòkò s’est converti au protestantisme. Il était reconnu à l’époque de la visite des chercheurs comme un farouche opposant à la sorcellerie et à la zombification. Les chercheurs notent, avec stupéfaction, les cordiales relations existant entre les deux hommes au moment de leur visite. Le bòkò pratiquant a montré aux chercheurs Littlewood et Douyon des bouteilles contenant, selon lui, des « astrals de zombis » tout en confirmant avoir vendu leurs cadavres à des cultivateurs et à d’autres bòkò. Selon ce bòkò, le contact physique ne serait pas nécessaire pour atteindre sa proie comme le suggère l’approche de l’empoisonnement.

La zombification et la médecine

Il ressort des différents travaux que l’une des explications du phénomène de la zombification est l’existence d’un poison de fabrication locale. Ce poison, quand il est administré correctement, ralentit l’état du métabolisme à un point tel que la victime puisse être considérée comme cliniquement et théoriquement morte. L’antidote existe parallèlement. Et quand celui-ci est adéquatement administré, la victime peut recouvrer une partie ou toutes ses facultés cognitives. Donc, le détenteur de l’antidote peut utiliser le dosage pour manipuler le zombi à sa guise.

Le potentiel médical de cette substance, particulièrement dans le domaine de l’anesthésiologie, serait énorme. Il pourrait ouvrir la voie à de grandes percées dans ce domaine de la médecine moderne. C’est l’une des raisons pour lesquelles la zombification intéresse des chercheurs étrangers. Dans l’état de mort apparente, les victimes seraient capables de demeurer au moins 6 heures, voire jusqu’à 24 heures, au tombeau ou sous le sol. Tout un exploit ! Mais toute la magie, fait remarquer un fin connaisseur de la zombification, réside dans la technique qui consiste à relever le cadavre sur ses deux pieds. Les détenteurs de ce secret ne le partageront jamais avec personne, avoue-t-il.

Plusieurs médecins et scientifiques haïtiens considèrent la zombification uniquement comme une conséquence de l’empoisonnement en négligeant son côté mystique, plus difficile à appréhender. C’est le cas par exemple du Dr Ghislaine Adrien, psychiatre, qui s’est intéressée au phénomène parce que les parents de ses patients lui en parlent assez souvent. Elle s’est donc approchée, à un certain moment, de quelques hougan, particulièrement du feu Max Beauvoir pour essayer d’en savoir davantage. Tout ce que le Dr Adrien a pu glaner la porte à croire qu’il existe dans le poisson appelé froufrou ou poisson globe une substance appelée tétrodotoxine que l’on retrouve également dans une espèce de crapaud et dans certaines racines d’arbres en Haïti. La tétrodotoxine provoque, explique-t-elle, un état de catalepsie profonde qui fait que les signes vitaux ne sont pas décelables avec les stéthoscopes ou autres instruments médicaux. L’effet de cette substance semble durer plus de 24 heures, indique-t-elle. Mais cette approche suggère que la victime devrait avoir un contact direct avec son bourreau.

La tétrodotoxine a été largement étudiée par des chercheurs japonais. Elle a été retrouvée dans un poisson dont la consommation peut rendre la personne dans un état de mort apparente et temporaire. Les deux bòkò rencontrés par les chercheurs Littlewood et Douyon mentionnent d’autres substances locales utilisées dans le processus de zombification. Ils citent en exemple des restes humains, de crapauds, de lézards et de tarentules.

Cependant, il existe l’autre hypothèse plutôt mystique qui est étudiée par Littlewood et Douyon (1997). Pour certains hougan et adeptes du vodou, la zombification n’est qu’une justice parallèle à la justice étatique, inaccessible à la masse des défavorisés. Comme une forme de peine capitale pour des gens qui seraient coupables d’actes reprochables. Mais dans les cas documentés, on rapporte plutôt des scènes de jalousie, d’aigreur, de vengeance, de méchanceté, de règlement de comptes ou de conflit familial.

À partir des différents cas étudiés par les scientifiques haïtiens et étrangers, on ne peut relever de symptômes communs à tous les zombis. Chaque cas de zombification a ses spécificités et ses manifestations propres. Les techniques médicales usuelles ne permettent pas une caractérisation rigoureuse non plus.

Dans une collaboration avec Heinz Lehmann de l’Université McGill à Montréal et de Nathan Kline de Rockland State Research Institute de New York, le Dr Lamarque Douyon avait réalisé des travaux titanesques sur les cas de zombis ayant regagné leurs familles en Haïti de 1961 à sa mort. Nathan Kline est un pionnier du domaine de la psychopharmacologie qui a effectué des recherches, de façon intermittente, durant environ 30 ans en Haïti. C’est la raison pour laquelle le centre psychiatrique de Port-au-Prince porte son nom à coté de celui du Dr Louis Price Mars, l’un des pionniers de la recherche en la matière en Haïti. À noter que le Dr Lamarque Douyon avait complété sa résidence médicale en psychiatrie à l’Université McGill.

Malheureusement, les Dr Douyon sont tous déjà partis pour l’au-delà (non zombifiés, on l’espère). Chavannes Douyon est mort assez récemment, le 23 mars 2016. L’État haïtien n’avait pas profité de leur vivant pour faire la lumière sur ce phénomène, reconnu comme un crime par l’article 246 du code pénal haïtien.

La mambo Euvonie Georges Auguste de la « Konfederasyon nasyonal vodouyizan ayisyen (KNVA) » l’affirme sans ambages : « Haïti est une terre de liberté, elle ne doit pas tolérer qu’un groupe de ses fils et filles soit traité comme des esclaves sous aucun prétexte.». Elle indique que la zombification est contraire à la philosophie du vodou tout en admettant l’existence du phénomène en tant qu’une « forme de justice individuelle parallèle ». Reste à savoir si cette position est partagée par l’ensemble des vodouisants. Madame Auguste réclame l’application stricte de la loi, notamment contre les malfaiteurs qui, après avoir « zombifié » beaucoup de personnes, témoignent de leurs forfaits dans les églises protestantes, sous prétexte d’une certaine conversion au christianisme. « Ne pas sévir contre ces gens est une incitation à l’extension du phénomène de zombification dans le pays », a-t-elle déploré.

Haïti a perdu des savants et scientifiques qui travaillaient sur la zombification en Haïti. Au lieu d’être supportés par leur État comme leurs homologues étrangers, ils ont été souvent arrêtés et persécutés par le régime des Duvalier. C’était le cas du Dr Lamarque Douyon qui investissait son temps, ses ressources et son énergie dans la recherche sur la zombification. Il est incompréhensible que jusqu’ici les dirigeants haïtiens ne se montrent pas suffisamment intéressés à élucider ce phénomène qui marque si profondément l’imaginaire et le fonctionnement de l’Haïtien. Le chercheur Wade Davis vit encore, comme pour dire que la recherche sur le sujet est quasiment laissée aux étrangers qui l’orienteront à leurs fins.

CLIQUEZ ICI POUR EN SAVOIR PLUS

Source/RTVC
Photo/Archives
www.anmwe.com

Carnaval-Jacmel

 

To Top